Histoire de l'imprimerie de Gutenberg à aujourd'hui

Comme dans bien d'autres domaines, l'histoire de la communication imprimée est jalonnée d'idées reçues et d'inexactitudes. Ce texte a donc pour vocation de remettre quelques «pendules à l'heure», et plus modestement, d'initier le profane aux origines de ce que nos hommes politiques et nos sociologues appellent désormais «Les Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication (NTIC)».
Entre deux mille et mille ans avant notre ère, les Chinois connaissaient déjà l'impression dite «tabellaire» consistant à graver en relief un dessin sur une planche de bois tendre, à l'encrer et à la presser sur un parchemin ou une étoffe. On sait également que les Chinois avaient inventé, il y a mille ans, l'impression «xylographique» (du grec xulon: bois, et graphein écrire). Le texte était calligraphié sur une feuille de papier que l'on reportait sur une planche de bois, tandis que l'encre se trouvait encore fraîchement décalquée à l'envers sur la planche; les caractères étaient gravés en relief, la forme encrée et les feuilles de papier à imprimer pressées une à une, sur la forme, à l'aide d'une brosse. Les caractères gravés s'imprimaient donc à l'endroit sur chaque feuille. La méthode d'impression «xylographique» fut appliquée au XIVe siècle en Europe par les fabricants de cartes à jouer. Il se révélait en effet bien plus rapide de décalquer sur du carton les motifs d'une carte, d'après une gravure en relief sur bois, que de reproduire un à un ces motifs, avec un patron découpé, comme cela s'effectuait auparavant. Le procédé xylographique servit par la suite à réaliser des images pieuses, puis de véritables livres tels que la grammaire d'Elie Donat, précepteur de Saint-Jérôme, ou encore La Bible Des Pauvres (Biblia Pauperum), imprimée en Hollande et en Allemagne vers la fin du Moyen-Age.

De la pierre taillée à la typographie
La transmission du savoir et de l'information fut le quasi-monopole d'érudits calligraphes. Les historiens situent le berceau de l'écriture sous une forme alphabétisée en Mésopotamie, vers 3500 ans avant notre ère. A cette époque, il s'agissait de caractères gravés dans de la terre cuite. Nos caractères d'imprimerie occidentaux actuels sont le fait des Romains qui en ont laissé quelques exemples gravés dans la pierre. Le dessin typique de ces caractères est à l'origine des lettres capitales de la famille des Garaldes dont le Garamond est aujourd'hui l'un des représentants les plus connus. Les bas de casse de cette famille sont inspirés, quant à eux, des édits de Charlemagne. Sous leur forme imprimée, les Garaldes sont le fait des maîtres de la renaissance typographique italo-française et sont le fer de lance de l'âge d'or de la typographie classique survenu au XVlle siècle.

Les premiers livres
Sous la forme que nous lui connaissons actuellement, le livre doit son existence à la religion chrétienne qui s'en servit pour transmettre son histoire et plus encore son idéologie, afin de mieux asseoir son pouvoir. Cela explique qu'avant Gutenberg la réalisation des livres manuscrits se voyait exclusivement confiée aux moines copistes. Chacune des pages de ces livres était adroitement et patiemment calligraphiée à l'aide de plumes et enrichie d'illustrations en couleur peintes à la main. Chaque livre était une pièce unique et représentait une somme de travail considérable. Le livre de cette époque constituait donc un objet rare et précieux, réservé à une élite intellectuelle et fortunée. C'est lors de cette période du livre manuscrit que naquirent les bases de ce que nous appelons aujourd'hui les règles typographiques et qu'émergèrent les premières formes standardisées de ponctuation.

L'aube de l'imprimerie moderne
La véritable invention du célèbre Gutenberg, vers 1440, n'est pas la première machine à imprimer. Peu de gens savent qu'en fait, Gutenberg inventa la fonte des caractère stypographiques en métal, soit le caractère mobile et séparé, et non pas l'imprimerie comme on le croit bien souvent. Rappelons que les Coréens utilisèrent des caractères mobilesd'imprimerie en terre cuite puis en étain dès l'an mille. Ne déshonorons pas pour autant la mémoire de Gutenberg, puisque cet homme était sans aucun doute de bonne foi lorsqu'il s'est attribué la paternité de ce procédé. Les caractères séparés présentaient l'avantage de pouvoir être utilisés à l'infini pour de multiples ouvrages. On notera que l'invention de Gutenberg ne suivait que d'une centaine d'années a fabrication du papier. En effet, ce sont les Italiens qui ont donné naissance au papier en Europe vers te milieu du XlVe siècle. Pendant quelques dizaines d'années, le papier fut exclusivement produit en Italie et exporté. Ce n'est que vers la fin du XIVe siècle que l'on vit apparaître les fabriques de papier dans les autres pays européens. Jusqu'au milieu du XVllle siècle, le papier resta un produit de luxe. Gutenberg délaissa très vite les trop fragiles caractères en bois pour en réaliser en étain. Ces caractères étaient élaborés selon des modèles datant de l'époque gothique et dont le dessin si caractéristique était dû au fait que les calligraphes qui les avaient conçus se servaient de plumes à pointe «carrée». Ce choix répondait en fait à des considérations religieuses et politiques car les moines copistes, qui réalisaient exclusivement depuis déjà quelques siècles les livres de façon manuscrite, percevaient d'un mauvais œil l'arrivée des imprimeurs et tentaient de conduire ceux-ci à la potence en les faisant passer pour des sorciers. C'est pour cette raison que le Français Nicolas Jenson s'installa à Venise pour imprimer à partir de 1470 des ouvrages avec des caractères qui nous paraissent aujourd'hui «conventionnels», et que , nous appelons «elzevir». Les premiers caractères d'imprimerie «italiques» furent créés, quant à eux, par l'italien Aide Manuce en 1494. L'usage général du caractère mobile en métal mou dans l'imprimerie perdura jusque vers 1970... Pendant cette période de près d'un demi-millénaire, l'évolution de l'imprimerie consista essentiellement en sa mécanisation et son automatisation. Ainsi, la presse à bras en bois permettant des cadences d'environ 300 feuilles par jour fut d'un usage courant jusqu'en 1783. C'est à cette date que Didot et Brichet introduisirent l'usage d'un marbre de fer et d'une platine en cuivre sur les presses à imprimer. Peu de temps après, en 1796, le Tchécoslovaque Alois Senelfer ayant remarqué les propriétés particulières d'une variété de pierres calcaires de la ville de Solenhofen (petite ville située à proximité de Munich) met au point la lithographie.

Le parchemin
Ce terme désigne formellement une peau de porc tannée et préparée pour servir à l'écriture. De couleur jaune ou beige clair, le parchemin a servi de support d'écriture jusqu'à l'arrivée du papier en Occident. D'une épaisseur généralement proche de celle de la couverture d'un magazine de luxe (250 à 350 grammes par mètre carré), le parchemin résiste fort bien aux outrages du temps. Cela explique l'excellent état de conservation de documents parfois vieux de près de mille ans. L'usage du parchemin a totalement disparu vers la fin du XVIIIe siècle.

ancre

L'apport de l'ère industrielle
C'est en 1807, grâce à l'Anglais Stanhope, que la presse à imprimer fut intégralement faite de métal et capable de décupler la cadence d'impression. Le journal anglais The Times fut imprimé à partir de 1814 à l'aide d'une imprimerie commandée par une machine à vapeur. Le rouleau encreur fit son apparition en 1819 et la rotative en 1847. En 1851, l'imprimeur lithographe Firmin Gillot invente un procédé d'impression par reports sur zinc gravé chimiquement en relief. Gillot appelle son procédé «panéïconographie». C'est le fils de Firmin Gillot, Charles Gillot, qui, profitant des découvertes des photographes Daguerre et Niepce, fera évoluer cette découverte et créera un papier dit «au procédé» portant une linéature qui permettra au dessinateur d'obtenir des demi-teintes. La composition mécanique des caractères apparut également au journal The Times en 1872, sous forme d'une machine entretenue par quatre hommes et capable de produire une centaine de caractères à la minute. La similigravure prend son essor à partir de 1883. Elle est issue des travaux de l'Américain Yves et de l'Allemand Meisenbach, qui mirent au point le réseau tramé qui transforme les demi-teintes continues en une série de points de forme et de surface variables. La reproduction des couleurs par superposition de clichés sélectionnés dans les teintes primaires puis gravés chimiquement en similigravure fut a conséquence des travaux de Charles Cros et de Ducos de Huron, vers 1895. On peut dire que c'est à cette date que la photogravure naquit. C'est avec l'apparition de l'énergie électrique vers la fin du XIXe siècle que l'imprimerie prend une dimension véritablement industrielle. A l'aube du XXe siècle, la photogravure, devenue un procédé largement répandu dans les pays industrialisés, se trouve en possession de ses trois techniques essentielles le trait, la similigravure et la trichromie. L'imprimerie offset, de nos jours si populaire, est de loin la plus fréquemment utilisée. Son inventeur, le Français Grenier, produisit les premières impressions tramées sur zinc dans les ateliers Ruckert, en 1920.

a

Le travail de composition avec des caractères en plomb
La composition manuelle réclamait une grande pratique. Le compositeur travaillait debout, devant le rang, supportant la casse à hauteur de coude, ainsi que le composteur en diagonal dans la main gauche et puisant les caractères de la main droite dans la casse. Il lisait la copie attentivement, par fragments, puis «levait» chaque lettre dans les cassetins voulus d'un geste machinal de façon à les placer dans le composteur. Les caractères venaient s'aligner, renversés, dans le même sens de la lecture courante, c'est-à-dire de gauche à droite. La ligne étant près de s'achever et bien relue, il fallait la «justifier», c'est-à-dire l'ajuster, la rendre d'une longueur «juste». Le compositeur y parvenait en répartissant les espaces (c'est-à-dire les blancs) entre les mots et les lettres de façon à remplir complètement la ligne de caractères. Ce point a son importance puisque la stabilité de la composition résulte d'une bonne justification, ni trop serrée (lettres cassées ou rompues) ni trop faible (les lettres dansent). Lorsque le composteur était rempli de plusieurs lignes soigneusement justifiées et relues (la lecture se faisait à l'envers et le compositeur, à ce moment, corrigeait les fautes qu'il avait pu commettre), il était vidé sur une sorte de plateau de bois ou de métal appelé «gallée». Celui-ci était pourvu d'une équerre en cornière sur laquelle les lignes de caractères venaient s'appuyer. La gallée étant suffisamment garnie de lignes, celles-ci étaient ficelées en paquets et la page, ensuite enlevée et transportée sur une feuille de papier fort puis, elle était rangée sous le rang, ou bien sur une table ou les pages successives venaient s'empiler. Tenue du composteur, levée de la lettre, justification, ligature de la page, transfert du paquet de caractères mobiles réclamaient tours de main et dextérité, fruits d'un apprentissage sérieux.




De l'électricité à l'électronique
Du début de notre siècle jusque vers la fin des années 70, la composition du texte s'effectuait à l'aide de lourdes et complexes machines mécaniques dont le principal constructeur fut la société Monotype. Ces machines, conduites par un ouvrier typographe opérant à l'aide d'une sorte de clavier de machine à écrire, produisaient et plaçaient en lignes de texte les caractères faits d'un alliage à base de plomb appelé «métal de Linotype». Le développement de l'électronique de l'après-guerre permit l'émergence, dans les années 1950, d'un matériel de composition typographique capable de réaliser le texte sur du film photosensible employé dans la photogravure. C'est le début d'un procédé nommé «photocomposition». Entre le début des années 1960 et la fin des années 1980, la photocomposition connut trois évolutions technologiques. II est utile de préciser que jusqu'à l'aube des années 1990, la composition du texte de titrage (supérieur au corps 36) faisait l'objet de manipulations spécifiques sur un matériel tout spécialement dédié. C'est le photo-titrage.

La PAO (devenu prépresse)
Contrairement à ce que d'aucuns croient volontiers, la composition de texte et la mise en page sur ordinateur n'ont pas conquis les professionnels dès la sortie du premier ordinateur Apple, ni même dès la première version du logiciel PageMaker. En effet, si les ordinateurs autorisèrent très tôt des performances séduisantes, les machines capables de produire des films de photogravure à partir de données micro-informatiques étaient rares et chères. De plus, les professionnels ont tout d'abord manifesté beaucoup de préjugés défavorables à l'égard de ces «machines de bureau». C'est véritablement à partir de l'année 1990 que, de concert, les professionnels de la publicité ont investi dans des ordinateurs Macintosh, provoquant du même coup la chute précipitée de la corporation des photocomposeurs. Très peu de temps après cela, le logiciel Adobe Photoshop a créé un véritable désastre dans la corporation des photo-graveurs. Depuis quelques années, nous connaissons également le même phénomène vis-à-vis des fIasheurs - métier en voie de disparition -, ceci dû à l'introduction du logiciel Adobe Acrobat sur le marché des arts graphiques et permettant de graver directement les plaques à imprimer sans avoir recours à des typons ou films. Plus que la volonté d'innover, ce sont des considérations économiques qui sont à l'origine de la révolution de la PAO. Voici quelques éléments qui témoignent de ce phénomène de manière éloquente. Avant la PAO, la composition à façon du texte d'une page de publicité était, en moyenne, facturée de 150 à 900 francs, pour des délais de réalisation qui variaient de deux heures au minimum coursier oblige - à deux jours lorsque le prestataire était débordé. Le photo-graveur, chargé de réaliser les films d'impression à partir des éléments de photocomposition, des illustrations et des photographies, alourdissait le coût de cette page de 183 à 686 euros selon la difficulté, la taille et le nombre de photographies. En matière de photogravure, la différence de coût entre une page en couleur et une page en noir et blanc était considérable. A cela, il fallait bien sûr ajouter le salaire et les coûts de prestation des photographes, illustrateurs, directeur artistique, maquettistes et exécutants qui, à cette époque, gagnaient tous fort bien leur vie.

Haut de page